Et de 25 pour le Cap10BK !
Florian Madec Composites vient de livrer à Air Menuiserie, la 50ème semelle en fibres de carbone destinée au renfort du longeron de l’avion biplace de voltige Cap10B. L’occasion de revenir avec Jean-Marie Klinka (le « K » de Cap10BK) sur la mobilisation d’experts de bonne volonté qui a permis au biplace école d’Auguste Mudry de continuer à voler, après une suite de rupture en vol de voilure.
Le renfort du longeron des Cap10B par une semelle en carbone, redonne un avenir à la flotte des Cap10b « bois ». © Isabelle Klinka / Aerobuzz.fr
A la suite de plusieurs ruptures en vol de voilure de Cap10B, la DGAC a émis en 2003 une consigne de navigabilité (CN) limitant singulièrement les facteurs de charge à -3,5/+5g en solo et -3,5/+4,3g en double. Cette CN était assortie à l’exigence d’inspections contraignantes et coûteuses des semelles extrados et intrados du longeron principal. L’avenir des Cap10B était hypothéqué.
K pour Klinka
C’est Jean-Marie Klinka qui a trouvé la solution. Avant de rejoindre la rédaction d’Aerobuzz.fr, il a effectué la dernière partie de sa carrière d’ingénieur aéronautique à la DGAC. Avant cela, il fut le responsable du bureau d’études d’Avions Mudry. Autant dire que pour lui, le Cap10B n’avait pas de secret. La solution ne fut pas pour autant facile à imaginer et encore moins à mettre en œuvre.
Préparation du longeron avant collage d’une lamelle de carbone entre les âmes. © Air Menuiserie
« C’est au cours d’une mémorable réunion « au sommet » à laquelle participait notamment Bernard Stervinou, professeur à l’IUT de Brest, spécialiste de la fibre de carbone, qu’est venue l’idée de renforcer les deux semelles de longeron (extrados et intrados) par deux lamelles de carbone polymérisées en autoclave, selon une méthode bien différente de celle du Cap10C dont le longeron est constitué de carbone pultrudé, de largeur constante. », explique Jean-Marie Klinka.
Du Bijave au Cap10BK
Le sauvetage du Cap10B renvoie évidemment à « l’affaire Bijave », du nom du planeur biplace école construit par Wassmer et qui fut interdit de vol au début des années 1970 suite à une série d’accidents mortels entrainés par la rupture de l’aile. C’est Auguste Mudry qui apporta la solution. A cette époque, Jean-Mare Klinka était étudiant à l’ESTAé.
« Je travaillais sur un projet de méthode de calcul de matériau bois renforcé par de la fibre de verre, sous la direction d’un professeur polonais, Stanislas Schneider, rare génie de la conception aéronautique. », se souvient-il. « Ce renforcement fut appliqué au longeron défaillant du planeur Bijave par un autre ingénieur de la Fédération française de vol à voile, Bernard Schneider. Aujourd’hui il est beaucoup plus facile de rigidifier le longeron du Cap10 avec la fibre de carbone compte tenu de son module d’élasticité et de son allongement pour cent à rupture. »
Le renfort Bijave date de 1972, la technologie bois-carbone de 1988 et le renfort Cap10 BK de 2013… « Comme me le disait récemment Pierre Sintès, le directeur de l’ENSICA, qui m’avait encouragé dans cette étude : « vous voyez, les cycles en aviation sont souvent extrêmement longs ». »
Un renfort fait de mains d’experts
La réparation préconisée par Jean-Marie Klinka fait appel à des professionnels du bois et des composites. La voilure est entièrement rénovée avec le remplacement des contreplaqués, et le longeron bois est réparé. « Nous avons fait appel aux « artistes » d’Air Menuiserie. Ils sont propriétaires de la définition de la réparation, certifiée par l’EASA via une AMOC (Acceptable Mean Of Compliance). A ce propos, il faut souligner qu’il a été nécessaire de refaire le dossier de calcul et l’essai statique de la voilure ».
Lamelle intrados carbone collée dans le longeron d’une voilure Cap10BK (atelier AirMen) © Air Menuiserie
L’équipe a reçu l’aide précieuse de Jean-Marie Saget, un pilote d’exception qui a laissé son empreinte aux essais en vol de Dassault Aviation et qui en l’occurrence est un authentique passionné et connaisseur du Cap10.
Jean-Marie Saget en soutien
« Je connais Jean-Marie Saget depuis 45 ans, c’est-à-dire depuis le moment où je suis entré chez Mudry. Il a participé aux essais en vol du Cap20 et a été le premier client civil du Cap10 ». Saget est le chef-pilote de l’aéro-club Dassault-Voltige, propriétaire de 8 Cap.
« C’est tout naturellement, ayant suivi mes travaux sur la techno bois-carbone à l’ENSICA en 1988, que Jean-Marie Saget est venu me proposer de mettre à notre disposition une voilure d’essai statique pour la certification du renfort. Un dossier de 200 pages plus tard, la certification s’est terminée par une rupture de la voilure à un coefficient de sécurité sensé lui donner une durée de vie infinie, sous réserve de respecter le domaine de vol +6/-4,5g. » L’essai de rupture a été réalisé sur une voilure complète par le CRITT de Rochefort.
La solution carbone
Les renforts carbone sont réalisés selon le process élaboré par Florian Madec (Florian Madec Composites à Brest), un ancien élève de Bernard Stervinou, « artiste » selon les critères de Jean-Marie Klinka. FMC intervient en sous-traitance d’Air Menuiserie.
Drappage des semelles carbone de largeur constante (donc avant polymérisation et détourage). La machine a été créée spécifiquement par FMC pour le Cap10BK. ©Florian Madec Composites
Autoclave (polymérisatoin en température, sous vide et en pression) des lames issues de l’opération précedente. Les lames sont « emprisonnées » dans des poches étanches. Une partie des outillages (métalliques) passent dans l’autoclave.© Florian Madec Composites
Les lamelles suivent le process suivant :
- Phase 1 : Drapage des préimprégnés, d’épaisseurs dégressives en envergure
- Phase 2 : Cuisson en autoclave sous vide et en pression de ces pré-imprégnés
- Phase 3 : Détourage, après polymérisation, à la forme des longerons, à la scie diamant lubrifiée.
- Phase 4 : Contrôle Ultra Sons à 100% (de chaque lamelle : voir photo)
Contrôle de défauts aux ultra sons à 100% des lames, seul moyen de contrôler les défauts de polymérisation ou les oublis d’inclusions parasites (par exemple le scotch d’étanchéité). Pour des raisons de sécurité, il a été décidé d’un contrôle à 100%: la lame de carbone est une pièce critique.© Florian Madec Composites
« La mise au point du process a été relativement rapide, avec peu d’échecs : 2 ou 3 lames en tout, sur le choix des tissus Sergé/Taffetas et l’obligation du contrôle ultra sons de toutes les lames. Elle a été facilitée par le démarrage assez lent des commandes passées à Air Menuiserie par les propriétaires. Je crois qu’aujourd’hui, chacun a pris conscience de ne plus voler en « tout bois », sauf à se limiter de manière drastique ».
Une intervention lourde
Le renfort de l’aile du Cap10B nécessite beaucoup de main d’œuvre et les opérations sont complexes à industrialiser. En comptant le revêtement contreplaqué, les lames carbone, le collage, la réparation des nervures, le marouflage et la peinture, il faut compter six semaines d’immobilisation. « Certes ce n’est pas du travail « low cost », mais c’est un investissement qu’il faut amortir sur un nombre d’heures « infini » du fait du faible niveau de contraintes à charges limites ». Air Menuiserie a déjà réalisé 25 longerons :« leurs efforts sont récompensés ».
Voilure finie après la pose des revêtements contreplaqués okoumé neufs. © Air Menuiserie
Pendant plusieurs années, l’avenir du Cap10B était incertain. Outre la consigne de navigabilité de 2003 qui limitait son domaine de vol, le biplace de voltige a été au cœur d’une bataille juridique relative à la propriété des certificats de type. CEAPR les a tous récupérés en 2016 (exception faite des « orphelins », Cap20 et Cap20L).
La DGAC a émis, en 2014, un Bulletin Service recommandant l’application de la réparation « BK » d’Air Menuiserie ou la transformation du Cap10B en Cap10C (modification réalisée par CEAPR) afin de retrouver les limites originales du domaine de vol (+6g/-4.5g). « Inutile de vous dire que « j’oblige » tous mes bons camarades à ne pratiquer la voltige qu’avec un Cap10BK ou un Cap10C dont le niveau de contraintes à charges limites est faible également. », conclut Jean-Marie Klinka.
Gil Roy